Explosion du prix des matières premières, augmentation de celui du verre et de l’aluminium, hausse des charges liées à l’énergie exponentielle : depuis la guerre en Ukraine, les brasseurs français sont dans la tourmente. État des lieux.
Le 2 janvier dernier, Ulrich Alejo, gérant de la brasserie la Rocade à Villebon-sur-Yvette (Essonne) témoigne sur BFMTV : « La facture d’électricité que je viens de recevoir s’élève à 17 574 €, soit une augmentation de 2 200% justifiée par une reconduction de contrat en phase avec la nouvelle grille tarifaire. » Une « guillotine » pour l’entrepreneur, qui perd plus de 40% de son CA mensuel.
À Villefranche-sur-Saône, où est sise la brasserie Terres de Bières, si la facture d’électricité pour l’année à venir est fixée par un contrat qui se termine fin 2023, Florent Langloy, le gérant, a subi une augmentation de 164% en 2022.
« Concrètement, il faut maintenant rationaliser toutes les étapes de la production, explique-t-il. Globalement, nous essayons d’optimiser les rendements que l’on peut générer via les matières premières. Ces dernières ont pris cette année 50% d’augmentation. Pour faire des économies d’énergie, si nous brassons déjà davantage en heures creuses, nous envisageons de produire plus sur la période d’été, quand l’électricité est généralement moins chère. Nous nous préoccupons par ailleurs de trouver de nouvelles solutions pour la récupération de l’eau, car là aussi nous nous attendons à une belle augmentation sous peu. Il faudrait investir dans des équipements moins énergivores, mais hélas la période est peu propice à ce type de démarche. »
Aussi partout en France, tout comme les boulangers et autres artisans, les brasseurs vivent avec un sentiment constant d’oppression quant à la bonne marche de leur activité, et même à leur survie. En ce sens, chacun cherche des solutions à son niveau pour ne pas finir dans le rouge.
« Nous sommes dans l’instabilité »
Au Mans en 2017, la brasserie Septante-Deux commençait son activité dans un garage. Depuis 2020, elle officie au cœur de la ville dans une brasserie-pub de 300 m², s’adaptant ainsi à la nouvelle donne.
« Bières en pression, en fermentation spontanée, en fûts, en canettes… de juin 2022 à juin 2023, nous avons produit 600 hectolitres, commente Clovis Richard, l’un des 3 cogérants de la brasserie. Aujourd’hui, du malt à l’énergie en passant par les transports, tous les prix ont augmenté. Le malt a pris 30 à 40%. Une hausse qui nous a contraints à passer du bio au conventionnel. Pour le houblon, dont les tarifs ont crû dans la même mesure, nous réfléchissons à d’autres solutions comme le Cryohoublon. Et puis concernant l’électricité, depuis que notre dernière facture a été multipliée par quatre, nous faisant passer de 1 500 à 6 000 €, nous faisons tout notre possible pour maintenir le cap. »
Si les entrepreneurs brassent maintenant en nocturne sur les heures creuses, l’obligation de travailler en continu durant 12 heures déborde forcément sur les heures pleines. En outre, si l’ouverture de 17 heures à minuit les oblige à allumer le chauffage pour les accueillir décemment, ce chauffage éteint le reste du temps oblige Clovis et ses collègues travailler dans le froid.
Et l’avenir dans tout ça ? « Nous sommes dans l’instabilité. Si nous suivons au coup par coup les annonces gouvernementales et anticipons l’inflation sur les matières premières, alors nous n’avons aucune visibilité sur le long terme et nous nous adaptons au jour le jour », conclut Clovis.
« La guerre en Ukraine a asséné un nouveau coup à notre profession »
« La filière brassicole est très pénalisée par la hausse des matières premières et de l’énergie, affirme Magali Filhue, déléguée générale chez Brasseurs de France. Dès l’automne 2021, nous alertions sur les difficultés rencontrées face à l’augmentation des coûts de production. Après 2 années de Covid où le CHR a fermé alors qu’il représente 35% du marché de la bière, la guerre en Ukraine a asséné un nouveau coup à notre profession. À présent, les hausses sont à la fois non seulement indirectes sur l’emballage ou les matières premières mais aussi directes via l’énergie utilisée dans le processus de brassage. Pour cette énergie, les prix des factures sont multipliés par 4 voire par 10.
Selon une enquête réalisée avec la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), plus de 8 brasseries sur 10 se déclarent pénalisées par une augmentation supérieure à 10% des prix de leurs fournisseurs. En outre, si 70% rencontrent des difficultés pour s’approvisionner en matières premières et biens intermédiaires, 96% indiquent qu’il s’agit de difficultés liées au prix, 78% aux délais de livraison et 71% aux quantités disponibles.
« Nos brasseurs sont inquiets. Pour la plupart, il s’agit de jeunes entreprises qui ont embauché et réalisé de très gros investissements ces dernières années, insiste Magali Filhue. Sur toute la France, nous représentons 8 000 emplois directs,. Et 130 000 de l’amont à l’aval. »
Pour protéger ses adhérents, Brasseurs de France, impuissante quant aux multiples hausses, a donc opté pour une communication accrue sur les aides gouvernementales dont ils peuvent bénéficier concernant l’énergie.
Des critères trop sélectifs pour bénéficier des aides de l’État
Si l’on ne peut nier les aides de l’État français accordées aux TPE pour maintenir leur activité, toutes sont soumises à des conditions bien particulières auxquelles il faut bien entendu répondre. Le 6 janvier dernier, Bruno Le Maire a ainsi annoncé un prix de l’énergie limité pour les TPE en 2023. En effet, les fournisseurs d’énergie ont accepté de leur garantir qu’en 2023, elles ne paieraient en moyenne pas plus de 280 euros par MWh d’électricité.
Toutefois, il s’agit d’une aide seulement accessible à celles qui auraient renouvelé leur contrat d’électricité au second semestre 2022. Une mesure qui complète le bouclier tarifaire limitant la hausse du prix de l’électricité à 15% jusqu’au 30 juin 2023, et pour le gaz jusqu’au 31 décembre. À condition d’avoir moins de 10 salariés, un CA inférieur à 2 M€ et un compteur électrique d’une puissance inférieure à 36 kVA.
Dispositif auquel s’ajoute, pour ceux qui ne sont pas éligibles au bouclier tarifaire, l’amortisseur d’électricité qui prend en charge environ 20% de la facture totale d’électricité pour les entreprises de moins de 250 salariés dont la puissance est supérieure à 36 kVa.
« Enfin, d’autres accompagnements sont disponibles : le dépôt d’une demande d’aide pour honorer ses factures de gaz et d’électricité, un étalement de ses paiements, ou encore un report de ses impôts et cotisations sociales », explicite Magali Filhue.
De quoi satisfaire chacun ? « Nous n’entrons pas dans les clous, affirme pour sa part Florent Langloy, gérant de la brasserie Terres de bières. Nous avons reçu la visite du sous-préfet, de la chambre de commerce et de l’industrie, nous ne pouvons bénéficier de rien ! »
Des trous dans la raquette qui laissent un goût d’amertume aux artisans de la bière.