Laurence Marot
L’écossais Ewan Henderson, présent dans l’industrie des spiritueux depuis plus de 25 ans, est le fondateur de cette plateforme cartographique mondiale du rhum. Le 29 août, il a participé à la conférence « l’héritage français dans le rhum » au Los Angeles Rum Fest. Rencontre.
The Rum Geography, créé en 2023, est un site dédié aux amoureux du rhum. Quelle est sa vocation ?
Nous sommes une plateforme numérique qui montre où le rhum est fabriqué dans plus de 100 pays. The Rum Geography sert de passerelle pour les distilleries de rhum, les bars et les expériences autour du rhum. Notre devise : « Explorer le rhum partout. ». Nous souhaitons donner la parole aux distillateurs de rhum artisanaux.
Pour présenter ce spiritueux exotique, la géographie est essentielle et c’est pourquoi nous nous appelons The Rum Geography. Nous sommes là pour reconnecter les gens avec le sens du lieu dans le rhum. Nous sommes une sorte de « Lonely Planet » pour les amateurs et nous cherchons à inspirer une nouvelle génération d’expériences de voyage autour du rhum !
Sur le site, vous présentez un tour des distilleries qui produisent du rhum en France. Combien en avez-vous visitées ?
Nous avons cartographié les marques de rhum et les distilleries en France. Nous avons pu rédiger un guide du rhum, mais nous n’avons pas encore visité les distilleries. Notre plateforme est avant tout numérique, avec tant de pays et de régions à ouvrir ! Aujourd’hui, il y a plus de 30 marques en France, y compris les embouteilleurs. Une vingtaine de distilleries utilisent généralement de la mélasse, et 3 du jus de canne.
Ces dernières années, le paysage du rhum en France a évolué. Au cours de la dernière décennie, j’ai visité le salon Rhum Fest à Paris et plus de 150 cavistes dans toute la France, de la Normandie à la Provence. J’ai parlé avec des marques, des distillateurs et des cavistes lors d’événements. Le rhum fabriqué dans l’Hexagone est encore en phase d’émergence. Nous prévoyons de contribuer à le faire connaître et l’année prochaine, nous ferons un voyage pour rencontrer les distillateurs.
Est-ce que le savoir-faire ancestral des producteurs français est un atout ?
Oui, absolument. L’héritage français de la distillation remonte à plusieurs siècles avec les armagnacs et les eaux-de-vie. Les alambics, la gestion des fûts et les techniques avec lesquelles les petits producteurs façonnent leur spiritueux et leurs compétences au fil des générations ressemblent beaucoup à celles du whisky écossais. Le développement et la compréhension des AOC, du cognac, du vin et du calvados, de la récolte à la source et de la connaissance de la fermentation sont inhérents.
Les nouveaux distillateurs de rhum de l’Hexagone ont peut-être plus de liberté. Par exemple, le jus de canne de l’Hexagone n’a pas les mêmes règles que l’AOC Martinique. Ils peuvent donc être plus flexibles sur la façon dont il est fabriqué. Cependant, les lois de l’Union européenne restent en vigueur pour toutes les marques. Les distillateurs de rhum modernes sont conscients du sourcing des ingrédients, de leur durabilité et sont influencés par leur terroir. De plus en plus de maisons de spiritueux de whisky et de gin se tournent vers le rhum et il faut de nombreuses années pour faire la transition. Cette tendance se retrouve dans le monde entier.
Quels sont les caractéristiques et points communs des rhums distillés en France ?
Ceux de l’Hexagone sont principalement réalisés par des distillateurs artisanaux. Seuls quelques-uns fabriquent du rhum à base de jus de canne. Celui-ci est réalisé dans le seul climat propice à la culture de la canne, le Sud, récolté en très petits lots. Le rhum Flamant est le premier à base de jus de canne à être entièrement produit en France métropolitaine. La récolte de la canne a lieu en décembre-janvier, soit avant le mois plus froid de février. Son goût se rapproche du rhum agricole.
Ce projet pionnier a notamment été coréalisé par Guillaume Ferroni, distillateur basé en Provence, il soutient d’autres opérations autour du rhum en Corse, et à l’étranger au Cap-Vert et au Cambodge. Les traditionnels sont fabriqués dans toute la France avec des nuances locales. Par exemple, l’utilisation de barriques près de Cognac, de fût de sauternes, ou de vin local.
Le rhum fabriqué en France se soucie de plus en plus que ses matières premières soient issues de sources durables. Certains producteurs fabriquent aussi du rhum épicé ou du rhum arrangé qui gagnent en popularité, tout comme le gin. Mais en général, le rhum hexagonal est encore jeune. Il faudra de nombreuses années avant que des expressions plus anciennes apparaissent sur le marché. Le whisky français connaît une croissance rapide, mais cela fait déjà longtemps que les distilleries travaillent à son développement. Nous verrons si le rhum français suit un chemin similaire.
Quels sont vos rhums français préférés ?
En général, je préfère un vieux rhum français qui conserve son essence en saveur, un spiritueux de style plus lourd où l’on peut goûter l’influence de la fermentation et des alambics. Pour moi, cela donne le caractère unique du distillateur et de l’assembleur.
J’aime les saveurs de « basse-cour » que l’on retrouve dans certains rhums agricoles. J’aime aussi le rhum avec un finish en fût de vin français, comme le sauternes et en fût de cognac.
Pour le français, il existe une opportunité de lier ces influences et de créer un profil aromatique signature convaincant. J’ai hâte de goûter le rhum au jus de canne hexagonal. J’aime les rhums bio de bonne qualité, comme ceux d’Alcools Vivant, créé en 2018, qui s’impose chez nous comme la maison pionnière des spiritueux 100% bio France : son rhum est le seul élaboré avec le label « Planet-score », ce qui dénote un engagement de transparence et de durabilité totale.
Un autre qui s’engage dans de rhums de bonne qualité est la Maison Ferroni. Guillaume Ferroni s’attache à présenter une large gamme de rhums uniques sur le marché. Benoît Garcia, de Bows Distillerie, est lui aussi un distillateur de rhum passionné, dans le sud. Il travaille avec un alambic hybride sur mesure et exploite les barriques provenant de domaines viticoles et de tonnelleries locaux.
Avez-vous goûté les rhums d’embouteilleurs français comme Maison Ricci ou la Compagnie des Indes ?
Je connais ces entreprises pour voir travaillé à leurs côtés dans le cadre de Rhum Fest et d’autres salons en Europe. La Compagnie des Indes existe depuis la dernière décennie. L’essor et la direction pris par des marques comme Maison Ricci sont vraiment passionnants à voir.
Swell de Spirits, installé à Pessac, est une autre marque qui fait des vagues. Les maisons de cognac et les distributeurs français ont leurs marques qui sortent des rhums tropicaux en édition spéciale, et certains sont vieillis en France. Avec leur design et leurs profils de saveurs dynamiques, ces rhums gagnent en popularité et en créativité. Au fur et à mesure que ces marques grandissent et s’enracinent, il sera intéressant de voir comment elles progressent et se lancent dans la distillation et la collaboration avec le rhum hexagonal à mesure que le spiritueux et le marché mûrissent.
