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“THE COMIC BOOK HISTORY OF THE COCKTAIL” : LE NOUVEAU LIVRE DE DAVID WONDRICH

David Wondrich signe ici un projet inédit. entre récits illustrés, anecdotes et autres recettes emblématiques, notre historien incontournable du cocktail retrace plusieurs siècles d’histoire des mixed drinks. Rencontre.

David Wondrich

Dans votre carrière, the Comic Book History of the Cocktail est un projet plutôt inhabituel. Qu’est-ce qui vous a attiré vers la bande dessinée ?

C’est un format qui m’a toujours intéressé, même si je me sens plus proche des comics underground comme ceux de R. Crumb ou des classiques tels que Krazy Kat, Buck Rogers, et des BD allant de Tintin à Astérix en passant par la Mort de Staline plutôt que des super-héros américains traditionnels. J’avais noté l’idée d’une BD sur ma liste de projets que j’aimerais réaliser. Alors quand on m’a proposé ce livre, la réponse a été facile à donner.

Quels ont été les principaux défis pour raconter plusieurs siècles d’histoire du cocktail en images, avec un espace de narration si limité ?

J’ai vite compris que si je voulais faire de ce livre une histoire sérieuse du cocktail, ce qui était ma mission, il fallait que ce soit plus un roman graphique qu’une BD d’action. Nous avons essayé de le rendre aussi vivant que possible, sans le simplifier à outrance.

Y a-t-il des anecdotes ou des personnages que vous avez dû écarter à cause des contraintes de ce format ?

J’aurais aimé inclure davantage de bartenders contemporains, parce que ce sont mes amis et que je respecte énormément leur travail. Mais avec plusieurs siècles à couvrir, j’ai estimé plus important de faire sortir de l’ombre des figures du passé.

Selon vous, qu’est-ce que le format roman graphique permet de faire que vos précédents ouvrages comme Imbibe ! ou Punch ne pouvaient pas ?

Il me permet de sortir des personnages de l’ombre et de les montrer au lecteur. Cela donne à l’imagination du lecteur un point de focalisation, une graine autour de laquelle il peut construire sa propre perle d’imagination.

Le livre mélange recettes, contexte historique et personnages-clefs. Quel cocktail incarne le mieux l’esprit de cet ouvrage ?

Je dirais le Zombie de Mr. Ching, page 108 : une recette publiée depuis 1940 mais sans contexte, sans le nom de son créateur, ni la mention qu’il fut l’un des barmen originaux de Don the Beachcomber. Ici, on a enfin ces informations et la recette mérite un nouveau regard.

En regardant la structure du livre, on passe du punch et des juleps à la renaissance moderne du cocktail. Quel moment historique a eu, selon vous, le plus grand impact sur la mixologie ?

Il y a plusieurs moments véritablement transformateurs ; les années 1680, quand le punch est passé de boisson de marins à boisson de la haute société, devenant le premier mélange populaire à base de spiritueux distillés ; les années 1830, quand les bartenders américains, beaucoup étant afro-américains, ont transformé les simples boissons de l’époque en petites oeuvres d’art, créant ainsi la mixologie moderne ; et les années 1890, quand Ciro Capozzi à Monte-Carlo, a ouvert la voie en incitant l’aristocratie européenne, les influenceurs de l’époque à boire des cocktails, les rendant ainsi « respectables ».

La Prohibition reste un chapitre marquant dans l’imaginaire collectif. Comment a-t-elle réellement façonné la culture cocktail, aux États-Unis comme à l’étranger ?

En réalité, je pense que la Prohibition n’a pas eu autant d’impact que la Seconde Guerre mondiale, qui a suivi de près. Le modèle américain d’hyper-industrialisation apporté par la guerre a façonné la culture cocktail pour les 60 années suivantes.

Jerry Thomas est une figure centrale dans vos recherches. Son héritage résonne-t-il encore derrière les bars d’aujourd’hui ?

Son mélange de savoir-faire mixologique, de flair artistique et d’hospitalité reste la référence de ce que peut être un barman.

Après des décennies à étudier l’histoire du cocktail, comment percevez-vous aujourd’hui la scène mondiale ?

Elle est bien meilleure qu’il y a 25 ans : les ingrédients sont généralement de meilleures qualités et plus accessibles, et le bartending s’est dans l’ensemble nettement amélioré. Depuis le Covid, Il y a eu un petit recul en matière de formation, mais je constate que l’on y accorde à nouveau de l’attention.

Les cocktails ne sont plus seulement une affaire américaine ou européenne. Quelles régions du monde vous semblent aujourd’hui les plus dynamiques ?

L’Asie de l’Est et du Sud bouge énormément, comme on dit, tout comme l’Afrique subsaharienne. C’est excitant.

Durabilité, ingrédients locaux, réduction des déchets prennent de plus en plus d’importance. Pensez-vous que ces évolutions redéfiniront la mixologie, un peu comme l’a fait la glace au XIXe siècle ou le shaker au XXe ?

À mon avis, c’est la question des ingrédients locaux qui a le plus de potentiel pour cela.

Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et aux livres, les amateurs peuvent reproduire chez eux des recettes autrefois réservées aux professionnels. Cela change-t-il la culture cocktail, selon vous ?

J’espère que cela incitera les buveurs de cocktails à rechercher des lieux offrant une hospitalité supérieure, une convivialité maximale. Trop souvent cependant, ils semblent se tourner vers les endroits qui proposent les boissons les plus étranges et alambiquées.

Si vous deviez choisir un cocktail pour résumer notre époque, lequel serait-ce ?

Dieu merci, je n’ai pas à le faire ! À New York, le cocktail le plus en vogue en ce moment est l’Old Dry Martini.

Enfin, quel conseil donneriez-vous à un barman français désireux de comprendre l’histoire du cocktail tout en créant ses propres signatures ?

Apprenez tout ce que vous pouvez sur l’histoire de votre métier, mais portez ce savoir avec légèreté : Harry MacElhone, même s’il connaissait tout de la gestion d’un bar, de la popularisation des cocktails et de la construction d’une marque, ne se prenait pas au sérieux. Et Julie Reiner non plus, alors qu’elle aussi maîtrise tout cela.

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Écrit par Laurence Marot

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