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LA CONSIGNE ENTRE SCEPTICISME ET QUÊTE D’INNOVATION

Le retour sur un fonds d’investissement de 50 millions d’euros. Des discussions sur un cadre juridique avant la fin de l’année. Des expérimentations qui se mettront en place l’an prochain. Et une généralisation du réseau d’ici à 2 ans… Telles sont les annonces faites en juin dernier par la secrétaire d’État à l’Écologie. Qu’en pensent les acteurs du secteur ? Quelles initiatives sont à venir ? Enquête.

Le 22 juin dernier, Bérangère Couillard, la secrétaire d’État à l’Écologie (désormais ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes) affirmait tout de go lors d’un point presse « le retour de la consigne ». Un dispositif qui serait testé durant une année dans de grandes enseignes à l’instar de Carrefour, puis généralisé en national d’ici 2 ans, avec pour les hypermarchés et les supermarchés l’obligation de reprendre les emballages en verre vide.

« Si dans les faits, elle n’a pas encore annoncé de projet de loi et qu’il s’agit quelque part d’un coup médiatique, la démarche démontre toutefois une volonté, une envie du gouvernement d’agir en ce sens ! », se félicite le Réseau Vrac et Réemploi, lequel fédère plus de 80 entreprises qui travaillent sur cette question. Un pas donc vers cette pratique qui concernera dans un premier temps la grande et moyenne distribution, mais qui ouvre la voie à une réflexion à plus long terme à tous les lieux de consommation, et notamment au secteur du CHR.

« Nous disons oui à la consigne, mais elle reste compliquée à mettre en place. »

Brasseurs de France

Apparue au siècle dernier par le biais d’une loi de 1938, la consigne obligeait à l’origine les producteurs de bières et d’eaux gazeuses à réutiliser leurs bouteilles pour le réemploi. Une pratique petit à petit tombée en désuétude dans la période 1980-1990, qui a trouvé un écho chez certains brasseurs comme la Brasserie de Bretagne mais aussi la Brasserie alsacienne Meteor, qui produit 6 à 7 millions de bouteilles par an, réutilisables une vingtaine de fois avant d’être recyclées. Alors pourquoi ne pas la généraliser ?

« Bien entendu, nous valorisons les actions de nos brasseurs sur la consigne, affirme Alicia Botti, responsable communication de Brasseurs de France. Nous les avons d’ailleurs soutenus lors du dernier Salon de l’agriculture. Pour autant, nous restons très prudents quant à sa généralisation et aux injonctions du« type “il n’y  » qu’à” car pour que cela fonctionne, il faut que toutes les parties prenantes sur un territoire travaillent en harmonie les unes avec les autres. Dans les faits, nous disons oui à la consigne tout en sachant qu’elle reste compliquée à mettre en place. »

La filière de réemploi des contenants de verre en plein essor !

Et pourtant certains y parviennent à l’instar des Brassés à Nantes, qui fonctionnent sur la totalité de leur production en réemploi. « Nous défendons la consigne et nous la pratiquons depuis notre création en 2016, affirme le président Gabriel Charrin. Et ce bien avant la crise du verre, les problèmes d’approvisionnement, les prix qui ont doublé en deux ans, le tout lié à la crise sanitaire puis à la guerre en Ukraine, tout ce qui déclenche aujourd’hui cette prise de conscience des pouvoirs publics. » Toutefois si la brasserie a toujours eu dans son ADN la volonté de ne travailler qu’en mode consigne, elle a pu compter sur l’accompagnement de l’association Bout’ à Bout’, devenue start-up, implantée en Pays de la Loire, qui développe à grande échelle une filière de réemploi des contenants en verre.

Les associés de Bout’ à Bout’

« Concrètement, nous achetons des bouteilles puis Bout’à Bout’ les récupère, les stocke, les lave et nous les ramène propres », détaille-t-il.

Un type de structure qui se développe dans toute la France à l’instar de Haut la Consigne dans les Hauts-de-France, de Consign’Up à Toulouse, ou encore d’Eco In Pack créé en 2021 à Cognac.

Une ligne pilote pour laver les bouteilles au design spécifique

Ingénieur de formation ayant évolué dans le développement de packagings auprès d’une grande maison de vins et de spiritueux, Martin Calmettes, cofondateur d’Eco In Pack, explique : « Le verre d’une bouteille de vin ou de spiritueux représente 40 à 50% de l’empreinte environnementale d’un produit de ce type. » Un chiffre exponentiel. Il se justifie par la température de fusion pour concevoir du verre affichant 1 600 degrés et qui, en mode recyclage, reste tout aussi énergivore avec une température de 1 400 degrés. « Une hérésie, selon lui, car « d’après l’Ademe (l’Agence de la Transition écologique), le réemploi permet d’économiser 76% d’énergie, 33% d’eau et réduit de 80% l’émission de gaz à effet de serre par rapport au recyclage ». De ce constat, souhaitant relancer le réemploi de la bouteille en verre, Martin Calmettes et Olivier Bouvry, lui aussi ingénieur en packaging, ont créé Eco Pack et intégré le réseau Vrac et Réemploi. « Si ce réseau promeut le retour aux bouteilles standards, notre volonté est de prendre en considération le design d’une bouteille dans l’image d’une marque. Une dimension extrêmement importante !, se différencie Eco In Pack. En ce sens, nous avons développé il y a un an une solution pilote de lavage à même de réutiliser jusqu’à 400 000 bouteilles par an, et ce quelle que soit leur forme. »

Un système pouvant laver jusqu’à 500 contenants par heure qu’Eco In Pack expérimente auprès des grands acteurs de vins et de spiritueux de cognac. Une aubaine pour les producteurs de spiritueux ? La Fédération française de spiritueux (FFS) reste sceptique…

Martin Calmettes et Olivier Bouvry (Eco In Pack)

« C’est un monde à inventer ! »

« Sortir du recyclage pour aller vers la consigne, cela implique de repenser toute l’organisation de la filière en matière de logistique, de gestion des contenants, de tri, de lavage… Lorsque l’on aborde le réemploi, nous avons un certain nombre de limites, » insiste Thomas Gauthier, le DG de la Fédération Française des Spiritueux. « Quand on parle de consigne, on aborde bien souvent aussi la question de la bouteille standard. Or dans notre secteur, le contenant a pour particularité de contribuer à la valeur d’un spiritueux, renchérit Lucile Talleu, responsable des affaires techniques et réglementaires au sein de la Fédération. Le lien entre l’emballage et le produit est si fort que d’un point de vue marketing, il est complexe de les déconnecter. Aussi la notion de réemploi doit-elle garder, nous concernant, cette spécificité ! »

Un frein auquel s’ajoute l’export qui représente 50% des produits vendus, mais aussi l’importation en même proportion, dont les contenants sont impossibles à récupérer et, de ce fait, à réemployer. « En export, notamment au Japon et au Canada, nous avons de plus en plus de contraintes sur le poids des emballages, qui est pris en compte dans la conception des bouteilles. Or cela va complètement à l’encontre de la logique du réemploi où il faut que les bouteilles aient un poids conséquent pour être manipulables, en capacité d’aller sur des lignes de tri, être lavables… et vivre des cycles de plusieurs rotations », ajoute Thomas Gauthier. Un point de vue non négligeable qui n’empêche pas certains producteurs, à l’instar de la Chartreuse, de travailler actuellement en local sur le réemploi de ses bouteilles. Tout comme Giffard, qui collabore depuis quelques semaines avec Eco In Pack… « Il y a 2 approches : voir toutes les complexités de ce dispositif, ou regarder les solutions déjà possibles et simples pouvant aller dans le sens du réemploi, exprime pour sa part Martin Calmettes. Chaque année, la France produit 19 milliards de bouteilles en verre. Toutes ne partent pas à l’étranger ! Alors avant d’aller au fin fond de l’Italie rechercher les spiritueux français consommés, il y a d’ores et déjà un gisement conséquent sur notre territoire, sur lequel se concentrer. Pour moi, c’est un monde à inventer ! » conclut-il.

Sites internet :

  • Réseau Vrac et Réemploi : https://reseauvracetreemploi.org/
  • Brasseurs de France : https://brasseurs-de-france.com/
  • Les Brassés : https://lesbrasses.fr/
  • Bout’à Bout’ : http://www.boutabout.org/
  • Fédération française des spiritueux : https://www.spiritueux.fr/
  • Eco In Pack : https://www.ecoinpack.com/

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Écrit par Gérald Dudouet

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