Laurence Marot
Depuis la crise sanitaire, le rapport à l’alcool a profondément changé. Modération et conscience dominent, avec des consommateurs de plus en plus responsables. Une évolution sociétale qui a fait naître un nouveau marché : les boissons sans alcool sont en pleine croissance.
Un comportement plus modéré face à l’alcool
Toutes les études le confirment : notre rapport à l’alcool a profondément évolué, marquant une rupture nette avec les habitudes de nos grands-parents et parents. Selon une enquête de Santé publique France publiée début 2024, les consommations hebdomadaires et quotidiennes d’alcool ont connu une chute spectaculaire au cours des 30 dernières années. La proportion d’adultes buvant de l’alcool tous les jours a été divisée par 3, tandis que la consommation hebdomadaire a diminué d’environ un tiers.
Une évolution qui s’explique largement par une prise de conscience autour de la santé et du bien-être, phénomène accéléré depuis la crise sanitaire. « C’est désormais une priorité. Les consommateurs tendent vers un mode de vie plus équilibré, en limitant leur consommation aux week-ends, aux occasions spéciales, ou à certains jours précis », analyse Julien Veyron, Client Solutions Director chez CGA by NielsenIQ. Il ajoute que « 54% des consommateurs qui réduisent leur consommation le font avant tout pour préserver leur santé. Par ailleurs, la responsabilité liée à la conduite après avoir bu est devenue un enjeu central. ».
Un autre facteur déterminant est le comportement de la génération Z. « Les 18-25 ans attachent une grande importance à leur image et les excès, notamment lorsqu’ils sont exposés sur les réseaux sociaux, ne correspondent plus à leurs aspirations », observe Julien Veyron.
Des boissons sans alcool plus qualitatives, qui suscitent l’intérêt
Les spiritueux et bières sans alcool, les boissons fermentées comme le kéfir et le kombucha, ou encore les vins désalcoolisés connaissent une croissance fulgurante à deux chiffres, dépassant largement les prévisions. Selon l’étude réalisée par IWSR réalisée en 2024, le marché français se positionne comme un acteur majeur, rivalisant avec des pays leaders comme le Royaume-Uni.
Jean-Philippe Braud est le fondateur de Gueule de Joie, leader dans la distribution de boissons sur ce segment en association avec V and B. Il résume ce bouleversement : « L’alimentaire a connu sa révolution entre végétariens et carnivores il y a 10 ans. Aujourd’hui, c’est au tour des boissons de se réinventer. Ce n’est pas un combat, mais un nouveau souffle pour l’industrie. »
Cette transformation se reflète dans l’intérêt croissant des salons professionnels, véritables vitrines pour ce secteur en plein essor. Wine Paris, événement influent prévu du 10 au 12 février 2025 à la porte de Versailles, illustre cette dynamique : depuis 2024, il consacre un espace dédié à la catégorie sans alcool près de Be Spirits, « Cette initiative attire de plus en plus d’exposants avec une croissance de 47% des inscriptions pour 2025. Plusieurs maisons ont répondu à l’appel sur la partie Infinite Bar pour présenter leur produit en cocktail avec des barmen parisiens », explique Audrey Marqueyssat, directrice Spirits, No/Low et Cidres chez Vinexposium.
Degré Zéro, un salon lancé en 2024, confirme l’engouement : sa première édition au musée du Vin à Paris a réuni 35 exposants dont 70% ont conclu des commandes sur place, et il a accueilli 470 visiteurs, parmi lesquels des acteurs de renom comme Air France et Carrefour. Son fondateur, Olivier Darras, se réjouit du succès et prévoit une seconde édition le 9 février au Tripot Régnier, avec 70 exposants et une jauge élargie à 1 500 personnes.
Un marché des spiritueux sans alcool avec des maisons très actives
Depuis 2015 et le lancement de Seedlip par Diageo, une vague de spiritueux sans alcool a émergé à travers le monde, répondant aux attentes de consommateurs en quête de sobriété réfléchie. En France, Sober Spirits s’est imposée comme l’une des références. Fondée par Calixte Payan, la marque a remporté en 2021 le prix du meilleur spiritueux au concours ISW de San Francisco, avant même son lancement en janvier 2022. « Ce succès a accéléré notre développement à l’export. Nous proposons des spiritueux complexes comme le rhum ou l’amaretto, grâce à une distillation suivie d’une extraction de l’éthanol pour préserver les arômes. Aujourd’hui, nous sommes présents dans 500 points de vente, 500 établissements CHR, et 30 pays », se félicite son fondateur. Ce dernier collabore aussi avec des clients comme le Casino Barrière à Enghien-les-Bains, pour développer des cartes miroir moitié alcool moitié sans alcool.
Lyre’s, autre acteur clef du marché, offre une gamme sans alcool, allant de l’”American Malt” (un bourbon à zéro degré) au “White Cane Spirit” (rappelant un rhum blanc). Distribuée par BBC Spirits depuis 2021, la marque australienne affiche une croissance mondiale de 30% en 2024, et entre 15 et 20 % en France. « Nous sommes présents dans des enseignes majeures comme Nicolas, et bientôt dans les hôtels du groupe Accor. Nos ventes atteignent leur pic durant Dry January, les fêtes de fin d’année, et l’été. Avec David Guetta comme égérie depuis 2024, nous montrons qu’il est possible de faire la fête sans alcool», souligne Cécile Frapsauce, directrice marketing de BBC Spirits. De vraies success stories !
La bière sans alcool : des brasseries qui se spécialisent
Pionnière dans l’univers des boissons sans alcool et malgré un contexte économique tendu, la bière continue d’afficher une belle dynamique auprès des consommateurs. « Contrairement au vin, elle séduit les amateurs mais l’industrie peine à innover, observe Jean-Philippe Braud. Le monde de la bière traverse une période difficile, et les brasseries traditionnelles préfèrent se concentrer sur leurs produits fondamentaux. Ce sont à présent lespure players, ces brasseries spécialisées dans le sans-alcool, qui dynamisent le marché. »
La brasserie bordelaise Parallèle en est la parfaite démonstration. Fondée en 2019 et d’abord connue pour ses kéfirs de fruits, l’entreprise s’est donné pour mission de créer des boissons bio, peu sucrées et alternatives. Après le lancement de son « houblonade » en 2022, Parallèle a investi le secteur de la bière sans alcool avec une gamme lancée fin 2023 autour de recettes bien ciselées : une blonde, une blanche, et une IPA. « Nous avons constaté une vraie demande pour des bières de qualité adaptées aux nouvelles habitudes de consommation. De plus en plus de gens, notamment les moins de 25 ans, choisissent de passer une soirée sans alcool tout en s’amusant. Près de 25% de cette tranche d’âge n’en consomment pas », explique Laurent Drège, cofondateur de Parallèle.
En 2025, la brasserie a pour ambition de participer pour la première fois au Saint-Malo Craft Beer Expo, un événement phare de la scène de la bière artisanale, confirmant ainsi son rôle grandissant dans ce marché en mutation.
Les premières actions mises en place appelant à la consommation responsable
Ancrés dans la culture française, les bars sont des lieux de convivialité où la consommation d’alcool tient souvent une place de choix. Comment sensibiliser ses clients à une approche responsable ? C’est la mission de l’association Prévention et Modération, créée par les fédérations professionnelles des producteurs de bières, spiritueux et vins d’apéritif, qui a lancé le 26 septembre une campagne d’une durée de 56 jours. Celle-ci a été mise en place dans plus de 90 bars partenaires de 8 grandes métropoles: Paris, Lyon, Marseille, Rennes, Nantes, Lille, Strasbourg, et Bordeaux.
Diffusé sur les écrans numériques Little Corner, le message est positif : « Consommez modérément, profitez pleinement ! » En parallèle, des sondages ont été menés pour évaluer l’impact de cette initiative. Les résultats, bientôt dévoilés, diront si ce cocktail de sensibilisation a réussi à éveiller les consciences… sans trop leur donner mal à la tête !
