Depuis maintenant de long mois, la crise sanitaire qui ébranle le monde et notamment l’Hexagone se mue en crise économique. Parmi les secteurs pénalisés, celui des bars peine à trouver un second souffle alors que tombent de nombreuses restrictions et fermetures administratives.
Seul, attaché à une chaise par 2 chaînes métalliques devant la sous-préfecture d’Avesnes-sur-Helpe, Sylvain Reclou, patron du bar L’After à Fourmies (59), se bat depuis 12 jours pour faire entendre sa voix. Sous la froideur d’une brise venue du nord, de jour comme de nuit, l’homme lutte pour dénoncer la fermeture administrative de son établissement qu’il juge abusive. « Les autorités ont pris cette décision sous prétexte que nous n’aurions pas respecté le port du masque. C’est complètement faux, se défend le quinquagénaire. Nous avons tout mis en place pour appliquer les règles sanitaires. »
À l’instar de Sylvain, de nombreux barmen français subissent de plein fouet des décisions qui, selon une lettre ouverte intitulée « Ne laissons pas mourir nos bars, ces lieux de vie que nous aimons tant », rédigée par la start-up Privateaser et signée par 90 acteurs du milieu, mettront inévitablement en péril l’avenir d’un établissement sur deux et près de 50 000 emplois d’ici la fin de l’année. « En respectant le protocole sanitaire actuel, ces lieux ne peuvent même pas atteindre 50% de leur chiffre habituel ; et en cas de fermeture imposée à 23 heures, le pourcentage tomberait à 25%, ce qui rend leur ouverture non viable », peut-on lire sur le communiqué.
Face à ce constat alarmant, Sylvain Reclou tente de donner une portée nationale à son mouvement contestataire : « Être assis là, attaché, c’est vraiment dur, assure le patron, mais je n’ai pas le choix. Si cette décision est validée malgré mon recours administratif, c’est la condamnation à mort. J’aimerais avoir davantage de soutien de la part des confrères parce que ce combat, je le mène aussi pour l’ensemble de la profession. Aujourd’hui c’est moi, demain ce sera un autre. »
Dans l’œil du cyclone
Depuis hier, l’annonce gouvernementale du Ministre de la Santé Olivier Véran impose aux bars de Paris, Toulouse, Lille, Saint-Etienne, Rennes, Rouen, Grenoble et Montpellier une fermeture à 22h pour une durée minimale de 15 jours.
Dans la métropole d’Aix-Marseille, placée en zone « alerte maximale », les établissements seront eux totalement fermées pour une durée similaire.
« Il convient d’éviter une dégradation de la situation conduisant à une saturation des capacités d’accueil hospitalières », a expliqué la préfecture des Bouches-du-Rhône dans un argumentaire trouvant écho au sein de l’ensemble des préfectures nationales.
Ce discours, émanant des hautes sphères de l’Administration française, témoigne de la responsabilité qu’elle attribue aux bars dans la propagation du virus. Une idée fermement réfutée par Laurent Barthelemy, président de l’UMIH Nouvelle Aquitaine : « Il ne faut pas, parce que 3 ou 5% des professionnels ont décidé de faire n’importe quoi, que les 95 ou 97% restants soient pénalisés », témoignait-il au micro de France Info le 14 septembre dernier.
On stigmatise les cafés, bars, hôtels et restaurants, mais ce n’est pas dans ces établissements qu’il y a eu une rave party de 1 000 personnes comme à Nantes ou à Bordeaux
Laurent Barthelemy, président de l’UMIH Nouvelle Aquitaine
La polémique enfle et les exemples ne manquent pas, insufflant chez les patrons de bars un puissant sentiment d’inégalité : jusqu’au 26 août et grâce à une dérogation préfectorale, le parc de loisirs du Puy-du-Fou a pu accueillir en son sein 9 000 spectateurs ; ces dernières semaines, de nombreuses soirées illégales ont été organisées en toute quiétude ; des images circulant sur internet témoignent de transports en commun où la foule rend impossible la distanciation.
Alors Sylvain Reclou s’emporte : « On nous tape dessus plus que sur les autres. Des milliers de gens vont tout perdre dans l’indifférence et l’injustice. »
Des embûches et une proposition
À Paris, alors que l’habituelle accalmie d’août a pris fin, l’activité peine à retrouver sa respiration. « Les recettes baissent mais les dépenses et les charges, elles, ne bougent pas, avance Olivier Martinez, cofondateur du House Garden dans le 11e arrondissement. On a pu limiter la casse grâce à notre banque qui a gelé notre emprunt et à notre bailleur qui nous a offert un mois. » Une situation économique instable dépendante d’organismes financiers qui ont permis au House Garden de passer l’été et d’appréhender l’automne. « Tous n’ont pas cette chance, relance Olivier Martinez. On n’en parle pas assez, mais il ne faut pas oublier que nous sommes des professionnels de l’hygiène. Nous ne sommes pas les plus dangereux. »
L’homme brosse un tableau sombre de ce que pourrait être le monde de demain : « Si l’on avance sans cesse l’heure de fermeture, ce sera la catastrophe et le seul moyen de s’en sortir sera de repenser notre identité. Ceux qui sont aujourd’hui fragiles disparaîtront et ceux qui le sont moins deviendront fragiles », prévoit le patron.
Mais dans le marasme ambiant, une lueur portée par la mairie de Paris ravive l’espoir d’un secteur éprouvé.
Le 27 août, la municipalité a décidé de prolonger jusqu’en juin 2021 les terrasses éphémères, un système amovible permettant aux établissements de gagner les places perdues à l’intérieur. « Ça nous sauve la vie , clame sans fard Olivier Martinez. C’est 80-85% de notre chiffre d’affaires. On avait 4 tables en terrasse et avec ce système on peut monter à 10 ».
Un enthousiasme partagé par Danilo Grenci, du Bluebird (11e) : « Même si on a 40% de perte au mois de septembre, les terrasses nous aident. Sans ça, on serait obligés de licencier. » Pour ne pas rester spectateur d’une crise sans précédent, la start-up Privateaser et ses 90 signataires professionnels ont proposé une série de mesures visant à combattre la propagation du virus tout en pérennisant l’activité : tests de température, distributions gratuites de masques, consommation à la paille afin de ne pas l’enlever, référencement des coordonnées des clients pour qu’ils puissent être contactés en cas de doute… Autant de mesures qui permettraient au secteur et à ses acteurs de continuer à vivre. Et à nombre d’entre eux de survivre.