En quelques années, le lieu niché dans le 5e arrondissement de Paris est devenu incontournable pour tout amateur d’eau-de-vie de canne. Fin septembre était dévoilée la nouvelle carte : Matières. Rencontre avec Donovan Chouari et Paul-Antoine Herbet, les managers du 1802 et cerveaux derrière ce menu.
Bonjour messieurs ! Je dis « nouvelle équipe » mais ça fait déjà un moment que vous avez posé vos jiggers et vos shakers au bar de l’Hôtel Monte Cristo. Que faisiez-vous avant cela ?
Donovan Chouari : Chimiste de formation, j’ai eu le coup de cœur pour le monde du bar lorsque j’y évoluais en parallèle de mes études. Cafétéria, bar à shooters, brasserie, restaurant, hôtellerie de luxe et enfin bars à cocktails (Bisou et Classique Café)… tout ça en autodidacte.
Paul-Antoine Herbet : 6 ans d’études au lycée hôtelier de Marseille Bonneveine avec mention complémentaire Barman. J’ai fait mes premières armes derrière un comptoir au Monte-Carlo Bay à Monaco, avant 2 merveilleuses années au Carry Nation.
Arrivés à l’automne dernier, les 2 bartenders ont succédé à Adrian Nino et Christopher Bellail aux commandes du plus grand bar à rhum de France, avec ses quelque 1 600 références en dégustation.
Le Bar 1802 est devenu un haut lieu des cocktails au rhum – et du rhum tout court – à Paris. Comment prend-on ses marques dans un tel endroit et comment s’est déroulée la passation avec l’équipe précédente ?
DC : Je pense que le plus difficile, c’est de comprendre le produit. Le rhum est probablement le spiritueux le plus complexe, que ça soit historiquement, dans sa conception, aromatiquement parlant, et surtout par la diversité qu’il offre.
Dans un endroit comme celui-ci, il est certain qu’une curiosité particulière pour les composants que l’on travaille est nécessaire.
PH : Selon moi, tout s’est fait de manière assez naturelle. Dès l’instant où l’on est passionné par le produit, on ne peut trouver meilleur endroit pour en découvrir les nombreuses facettes. Or j’ai eu la chance d’arriver ici par passion : du rhum, du bar et des précédentes équipes.
La transition s’est très bien déroulée. Adrian s’est occupé de nous transmettre ce dont nous avions besoin sur la partie gestion et l’organisation d’événements adaptées au lieu, alors que Cris était plus particulièrement en charge de la connaissance des produits.
Quand vous avez pris possession du Bar 1802, aviez-vous déjà des idées de changements, d’adaptations ?
DC et PH : De changements, non. Le bar a une identité très forte, forgée par Adrian et Cris, et nous nous devons de respecter ce qui a été construit.
Cependant, nous avions des ambitions. La première a été de redynamiser le bar à travers des événements, pour empêcher un moment de creux après leur départ. Nous avons à cœur de faire vivre cet endroit, simplement avec notre patte en plus.
De là est née, entre autres, l’idée des « Craft Your Journey » – des soirées qui ont pour but de faire voyager la clientèle et les invités autour d’une destination en particulier. Des cocktails sont créés pour l’occasion, en partenariat avec une marque (par exemple Doorly’s et Foursquare pour la Barbade).
Nous voulions aussi nous rapprocher de la gastronomie « solide ». Nous avons eu la chance d’être contacté par le chef Anthony Denon, du Restaurant Baudelaire, afin de créer un menu pairing Mets & Cocktails, disponible au restaurant et s’articulant uniquement autour du rhum. Nous produisons les cocktails nous-mêmes et nous les livrons au restaurant, ce qui implique un tas de contraintes techniques : goût, conservation, conditionnement, température, et rituel de service.
« L’ambition de départ : se recentrer sur l’écrin, le lieu lui-même. Nous avons donc choisi de mettre en lumière certains des matériaux présents au cœur du Bar 1802. »
Vous venez de lancer la nouvelle carte, la première ici. Comment s’est passée la genèse de ces créations et du thème central ?
DC et PH : L’origine de ce menu remonte à un soir de mars, peu après notre prise de poste. Nous étions juste Paulo et moi, c’était tranquille. On s’est dit qu’on pourrait réfléchir sur un prochain menu. Paulo a lancé l’idée de faire un gros travail sur la verrerie, et de là tout s’est très vite enchaîné. Dès le jour 1, nous avions beaucoup d’idées que l’on peut retrouver aujourd’hui sur le menu final.
PH : C’est exactement cela, il était temps de se mettre sur la création d’un menu. Le concept est venu très rapidement, il nous fallait un menu à la hauteur des précédents, qui puisse reprendre certains éléments qui avaient plu par le passé (notamment un support menu impactant, qui change des simples carnets). Le plus gros travail a ensuite été de concrétiser toutes ces belles idées.
Une préférence personnelle dans ce menu, qu’il s’agisse du goût, du cheminement de création, de l’utilisation d’un rhum en particulier ?
DC : En matière de goût pur, j’aime beaucoup Osier. C’est un cocktail très complexe, où il se passe plein de choses. Mais dans la globalité du menu, mon favori reste Plastique. C’est à mon sens le plus complet pour représenter cette matière. Entre l’idée qui est derrière, sa conception, le storytelling, le rhum utilisé (dans ce cas précis du grogue), le goût final, sa texture et sa garniture.
PH : Mon préféré sur le menu, c’est Bois. Parce qu’il raconte quelque chose de très personnel sur moi, c’est un ensemble de tout plein d’éléments : la forme de la tasse, le concept, et de ne pas juste avoir réalisé un cocktail avec le goût du bois. Il marque aussi l’association de 2 éléments que j’avais, 3 ans plus tôt, échoué à associer : le chocolat et le sapin.
« La carte s’articule autour de 12 matières à déguster : porcelaine, céramique, bois, terre cuite, bambou, coco, cuir, verre, plastique, osier, végétal, et métal. »
Cette nouvelle carte à peine lâchée, peut-on déjà parler de projets (en plus de rattraper du sommeil) ?
DC et PH : Beaucoup trop de projets (rires) ! 2 passionnés (et bourreaux de travail) comme nous, ne pourront jamais nous reposer sur nos lauriers ! Déjà, nous allons continuer ceux en cours, à savoir nos soirées, les guests, le partenariat avec le Baudelaire, etc. Ensuite nous voulons exporter Matières ainsi que son concept. Nous allons nous lancer sous peu dans l’écriture d’une conférence que nous présenterons dans les différents salons du bar/spiritueux et les bars qui nous accueilleront en invités.
Enfin, sans faire aucune promesse, nous aimerions répondre à la question qui nous est (de loin) la plus posée : « À quand le prochain Rhum Society ? » Pour diverses raisons, il sera impossible de le faire comme il a déjà existé, mais nous réfléchissons à des alternatives pour répondre au mieux à une demande qui vient autant des visiteurs que des acteurs du secteur du rhum.
Concernant les cuvées, Cris fourmille d’idées et nous avons encore quelques-unes de ses sélections à dévoiler. Bien sûr, des petites surprises arrivent mais il ne s’agit pas de vendre la mèche
Dégustation
Porcelaine
Texturé grâce au riz partiellement filtré, il propose un cocktail équilibré et plein. On y trouve des influences japonaises assumées entre saké, kokuto (sucre brut) shōchū et thé vert grillé. Une caresse.
Osier
Les céréales se placent au cœur de ce cocktail résolument puissant et chaleureux. Miel de sarrasin, distillat d’orge, rhum Brugal 1888, bière DDH IPA… Gourmandise et complexité sont au rendez-vous.
Verre et Métal – les garnishes
Pour l’un comme pour l’autre, le garnish revêt une importance toute particulière et sort du simple rôle décoratif. Que ce soit la feuille d’huître et son goût iodé renforçant le concept de bouteille à la mer ou le dé de ventrèche de thon accentuant l’arôme sanglant et cuivré, ils changent réellement l’expérience de dégustation.
Bar 1802 – Monte Cristo
20-22, rue Pascal – 75005 Paris
Ouvert tous les jours de 16h à 1h
Cocktail à partir de 17 euros