Alors que la FNB avait appelé à une manifestation nationale le 19 janvier dernier, l’entité a finalement rebroussé chemin suite aux annonces de Bruno Le Maire, leur donnant désormais accès aux fonds de solidarité. Il n’en demeure pas moins que le secteur rencontre de grosses difficultés. Entretien avec Jean-Jacques Mespoulet.
Pouvez-vous présenter le secteur de la distribution de boissons et ce qu’il représentait jusqu’à présent ?
C’est un secteur qui regroupe plus d’un millier d’entreprises ou groupes, très ancrées sur leur territoire et qui se portaient bien avant la crise. Cela représente près de 15 000 emplois directs. Le chiffre d’affaires HT de la profession était jusqu’alors de 5 milliards d’euros.
Les entreprises sont pour la plupart des entités familiales ou indépendantes. Il s’agit principalement de PME ou de TPE chargées d’histoire ou plus récemment acquises, qui commercialisent exclusivement de la boisson. Toute commune qui dispose d’un bar ou d’un restaurant est livrée par l’une d’elles. Nous sommes très souvent le maillon indispensable entre le producteur (vigneron, brasseur, torréfacteur, minéralier, ou encore multinationale spécialisée dans le soda) et le point de vente que nous accompagnons dans son développement pendant plusieurs années.
Pour la plupart d’entre elles, 80% de l’activité est réalisée auprès des cafés, hôtels, restaurants, discothèques et acteurs de l’événementiel (concerts, festivals, fêtes de village, etc.). Aussi somme-nous historiquement totalement dépendants des secteurs CHR et événementiel.
Comment s’est passée l’année 2020 ?
En début d’année, nous étions très optimistes. En janvier et février, nous enregistrions une croissance de chiffre d’affaires de l’ordre de 5% par rapport à 2019. Nous pensions alors que 2020 serait bon, dans la continuité d’un cru 2019 globalement très porteur pour la filière CHD (Consommation hors domicile).
La fermeture des établissements, décidée le 14 mars, a été brutale car annoncée la veille pour le lendemain. Elle a pénalisé toute la filière. Dès le lundi 16 mars, le silence s’est installé dans nos entrepôts avec un arrêt quasi total de notre activité. Nous avons dès lors perdu de 90 à 95% de notre chiffre d’affaires. Si, durant la première période de confinement, nous sommes restés sidérés, nous conservions l’espoir avec l’arrivée de l’été. Or les 15 premiers jours de juin ne furent pas très bons, notamment à cause du mauvais temps et de la contrainte de ne servir qu’en terrasse. De plus, l’été n’a tenu que partiellement ses promesses et de façon très hétérogène selon les régions. Paris, désertée par ses habitants et les touristes, ou encore la région Paca, qui voit d’habitude de riches étrangers débarquer, font partie des zones pour qui l’été a été plus dur encore. Pour d’autres, l’activité était honorable mais pas au niveau de 2019 et n’a pas permis de compenser les pertes du printemps.
Septembre et octobre ont également été des mois difficiles avec le couvre-feu qui, à nouveau, restreignait la fréquentation des établissements, voire en interdisait l’accès. Sans oublier que les discothèques n’ont jamais été autorisées à rouvrir ! Nous tenions, nous avions fait le deuil d’une année 2020 chaotique mais gardions espoir que 2021 soit l’année de la renaissance.
Le second confinement n’a pas résonné de la même manière. Nous sommes passés de la sidération au désespoir. Depuis, nos trésoreries sont épuisées et nos réserves aussi. Tout comme nos clients, nous ne discernons pas de lumière au bout du tunnel.
Comment tenez-vous jusqu’alors ?
Le chômage partiel et l’accès aux PGE (Prêts garantis par l’État) nous ont surtout permis de préserver les emplois et de payer nos fournisseurs et autres charges. Mais dans les faits, le niveau d’endettement de nos entreprises a augmenté. Pour l’heure, cela réduit considérablement nos capacités de développement et d’investissement pour les 3 à 4 années à venir.
En effet, ces aides ne suffisent pas. D’autant plus que depuis le premier confinement, nous sommes de surcroît confrontés à des problèmes de stocks, de pertes de marchandises, et ce malgré les efforts partagés avec les producteurs pour repousser les échéances et prolonger les DDM (Dates de durabilité minimale). Nous avons tous perdu beaucoup d’argent et désormais, chaque jour qui passe pèse plus encore sur la survie de nos entreprises.
Vous aviez initialement appelé à un rassemblement national le 19 janvier, finalement cette manifestation n’a pas eu lieu. Pour quelles raisons ?
Nous avons toujours privilégié le dialogue avec le gouvernement et effectivement, les échanges repris en début d’année étaient très positifs. Mais ce qui a avant tout guidé notre décision, c’était la protection de nos salariés. Au regard du risque sanitaire, de la reprise constatée, de l’arrivée du virus britannique qui se propage plus vite, en responsabilité, nous ne souhaitons pas exposer nos collaborateurs et participer sous quelque forme que ce soit à la propagation du virus.
En outre, comme l’a annoncé Bruno Le Maire, nous pouvons désormais, à l’instar de nos clients, accéder aux fonds de solidarité. Nous avons énormément œuvré afin que notre dépendance soit reconnue et qu’enfin nous puissions disposer d’un peu d’oxygène. Les aides octroyées à partir de décembre ne couvriront pas les pertes abyssales de 2020 mais devraient nous permettre de tenir encore un peu. À la condition bien entendu que les autres mesures telles que l’activité partielle avec zéro reste à charge ou encore l’accès aux exonérations de charges soient maintenues et accessibles à tous nos membres. Or les effets de seuil nous excluent souvent de ces mesures. Nous sommes très loin de pouvoir dire que l’on est sortis d’affaire et la FNB œuvre encore chaque jour pour que nos entreprises soient mieux prises en compte.
L’appui de nos élus locaux et la mobilisation de bon nombre de nos adhérents contribuent à nos avancées. Je veux ici remercier chacun d’eux pour leur engagement au service de la profession.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Notre activité est avant tout une activité de services. Elle nécessite des surfaces de stockage importantes, des flottes de véhicules conséquentes, des collaborateurs expérimentés car les relations avec nos clients s’inscrivent dans la durée. En clair, des instruments de travail difficilement adaptables à d’autres types d’activités à très court terme. Le fonds de solidarité, dans son évolution attendue sur janvier, devrait nous permettre de tenir et de sauvegarder nos emplois. Tous les acteurs de la profession sont alignés sur cette priorité : garder nos salariés. Dans notre secteur, la plupart font leur carrière dans leur structure. Les chauffeurs, les livreurs, les commerciaux sont attachés à leur entreprise. Nous gardons confiance et nous saurons rebondir mais les projections sont aujourd’hui très difficiles car à l’heure où l’on se parle, nous n’avons aucune visibilité sur la réouverture de nos clients !