Barmen, producteurs, distributeurs, propriétaires… Depuis mi-mars, ils attendent les mesures pour une prochaine réouverture des CHR. Rencontre à Paris, New York, Montréal et Bruges. Sixième témoignage : celui de Lilian Wolfelsberger, fondateur de la Distillerie de Montréal (Canada).
Quelle a été ta réaction le soir de l’annonce du confinement ? Les bars, les restaurants et les lieux publics ont été fermés en même temps ?
On fêtait les 15 ans de ma fille avec ses amis. Les rumeurs sur la fermeture circulaient déjà sur les réseaux sociaux. L’annonce a eu lieu aux alentours de 21h30. Les enfants étaient ravis tandis que nous, les adultes, nous demandions comment nous organiser. La suite s’est faite graduellement avec des annonces du gouvernement. Les bars ont dû fermer le 15 mars avec les lieux publics, mais les restaurants n’ont pas été concernés par cette mesure puisqu’ils ont rapidement demandé de scinder en deux leur établissement avec un corridor sanitaire. Une solution malheureusement ingérable, qui les a conduits à fermer d’eux-mêmes. Certains se sont reconvertis en restaurant take away mais ils restent une minorité.
Les règles de confinement étaient-elles strictes au Québec ?
Les mesures n’étant pas respectées, le gouvernement a imposé des règles drastiques comme des corridors de sécurité équipés de barrières sur les trottoirs pour marcher à 2 mètres de distance. Pour une simple réunion de 4 personnes, les amendes pouvaient s’élever ici de 1 500 à 10 000 dollars. Québec a déconfiné le 4 mai ; pour Montréal, c’est prévu pour le 25 mai.
Pour être livrés, nous avons dû faire valoir que nous étions classés en biens de première nécessité.
Quel est ton quotidien à la distillerie pendant le confinement ?
Nous avons maintenu la production car la Société des Alcools du Québec nous a très vite passé des commandes en pastis, en rhum blanc, en vodka, ou en Orange électrique (notre amer). J’ai seulement mis en stand-by mon équipe quatre jours car tout le matériel venu des États-Unis – étiquettes, bouchons, bouteilles – était bloqué aux frontières. Pour être livrés, nous avons dû faire valoir que nous étions classés en biens de première nécessité.
Nous avons également conclu un partenariat avec la brasserie Boréale, qui s’est retrouvée avec tout son stock de fûts sur les bras. On s’est reconvertis du jour au lendemain en changeant le système de cuve et de fermentation pour distiller de la bière et produire du gel hydroalcoolique. Ce qui me choque, ce sont les rapaces tournant autour de la distillerie pour récupérer notre production dans l’objectif de la vendre à 5 fois le prix initial.
Qu’est-ce qui va changer dans ta façon de travailler et de penser après cette crise sanitaire ?
On a fait une demande pour déposer un brevet en vue d’obtenir un certificat de santé de Canada pour produire du gel hydroalcoolique. Mais ce qui va vraiment changer pour moi, c’est le fait de voir si on est capables d’avoir des producteurs locaux pour maintenir notre activité et de ne pas dépendre de fournisseurs officiels ou extérieurs à nos frontières. Heureusement, à la distillerie nous avons la chance de produire majoritairement tout de A à Z.