Si malgré ses 750 000 salariés, le secteur rencontrait déjà des difficultés de turnover, la crise sanitaire a amplifié ce phénomène. À la reprise d’activité, 100 000 âmes manquent à l’appel !
Avec plus de 60 000 postes vacants chaque année, le CHR a toujours peiné à recruter.
En cause, selon une enquête réalisée par Pôle emploi en 2018 : pour 63% des salariés du secteur, les salaires trop bas ; pour 46% d’entre eux, des horaires difficiles ; pour 43%, un rythme de vie trop contraignant. Bien entendu, la crise sanitaire que nous traversons aide le fossé à se creuser.
Pour preuve, une étude sur « l’impact de la crise sur les besoins en emploi et en compétences », réalisée conjointement par les 4 organisations patronales (UMIH, GNI, GNC, SNRT) du secteur CHR : « Aujourd’hui, le constat est flagrant : 100 000 salariés manquent à l’appel », explique l’UMIH. Une carence qui s’explique entre autres par de nombreuses reconversions professionnelles.
« En novembre dernier, par le biais d’une enquête que nous avons réalisée auprès du personnel du CHR, 90% des répondants se sont déclarés prêts à travailler pour un autre secteur durant cette période difficile, explique Remi Boisson, cofondateur d’Extracadabra, spécialisé dans le recrutement en restauration. Parmi les possibilités évoquées : le commerce, la boulangerie, la logistique… des domaines où 81% d’entre eux avaient déjà travaillé par le passé et dans lesquels beaucoup se sont réinvestis. Aussi, quand nous les recontactons aujourd’hui pour leur proposer des missions dans le CHR, certains, ayant goûté à des horaires de travail classiques et à d’autres cadres professionnels qu’ils ont appréciés, expriment clairement leur volonté de ne plus réintégrer le secteur. »
Les offres d’emploi explosent
Du côté des responsables de bars ou de restaurants, la quête de candidats, serveurs, commis de salle, de cuisine, barmen se fait prégnante depuis la dernière semaine d’avril. Les agences d’intérim spécialisées ont enregistré une inédite recrudescence de besoins.
Dans les Hauts-de-France, 2 700 offres d’emploi ont été enregistrées par Pôle emploi, tandis que la Région Occitanie annonce une hausse de 35% d’opportunités dans le domaine.
Mais les candidats manquent… Et « 34% des entreprises du secteur déplorent des difficultés de recrutement », exprime Hervé Becam, le vice-président de l’UMIH. D’autant plus qu’au vu des diverses enquêtes démontrant l’engouement des Français de retourner dans les bars et les restaurants, l’activité devrait bel et bien reprendre.
En effet, selon un sondage réalisé mi-mai par l’institut Odoxa, 79% affirment qu’ils y reviendront régulièrement. Et ça quels que soient les âges, les genres, les catégories sociales. Aussi, et malgré cet enthousiasme palpable, les effectifs manquent déjà.
« À la reprise, 71% des responsables de bars et de restaurants affirmaient avoir perdu un quart de leur effectif depuis le début de la crise et 70%, être en recrutement pour relancer l’activité », détaille Remi Boisson, d’Extracadabra.
Les congés : la pierre dans la chaussure
Outre les reconversions professionnelles, d’autres facteurs ont influé sur les pertes. En effet, si l’on pouvait penser que le chômage partiel permettrait de maintenir sous perfusion les acteurs du secteur – composés avant la crise de 80% de salariés en CDI et de 20% d’intérimaires –, tout ne s’est pas vraiment passé comme tel…
« Certains salariés, et ce malgré les sollicitations de leurs responsables pour combler les brèches, n’ont pas souhaité utiliser leurs congés payés durant la période de fermeture, confie Remi Boisson. Or, à raison de 6 mois de fermeture, de 2,5 journées de vacances accumulées par mois et par salarié, certains établissements, notamment ceux comptant plus d’une dizaine d’employés, ont rapidement compris qu’il leur faudrait parfois payer jusqu’à 150 jours de ces congés. Un constat qui a conduit certains patrons à suspendre le chômage partiel et à perdre des employés. »
Aussi les opérations de séduction et les campagnes de recrutements affluent-elles sur tout le territoire.
En Occitanie, Pôle emploi a ainsi lancé « Zoom métiers : Hôtellerie, Café, Restaurant en Occitanie », qui consiste en un réentraînement d’une a deux semaines réservé aux demandeurs d’emploi ayant déjà une expérience dans le secteur.
En Paca, avec 8 000 offres à pourvoir, Pôle emploi a mis en place une grande opération de recrutement réunissant près d’une trentaine d’établissements de toute la région (Pernod Ricard, Buffalo Grill, Burger King…) à l’occasion d’un salon en ligne d’une durée de 3 semaines, soit du 20 mai au 8 juin.
Et si on augmentait les salaires ?
Plus globalement, bon nombre d’acteurs du secteur s’interrogent sur comment réenchanter leurs métiers et séduire les candidats.
« Une bonne clef pour relancer la mécanique serait probablement de revoir les salaires à la hausse, suggère Remi Boisson. Depuis 2015, les rémunérations ont très peu augmenté alors qu’à Paris, en 5 ans les loyers ont connu une hausse de l’ordre de 25%. Cela crée un décalage. On ne peut pas à la fois faire travailler des commis, des serveurs qui, au vu des horaires d’exercice, n’ont d’autre choix que d’habiter à proximité des établissements qui les emploient en laissant les salaires tels qu’ils sont aujourd’hui. L’équation ne fonctionne plus ! »
Aux États-Unis où la pénurie de main-d’œuvre dans le CHR est au plus haut depuis 20 ans, nombreuses sont les entités du secteur qui ont choisi de passer à la caisse pour combler les manques d’effectifs. Aussi, à titre d’exemple, McDonald’s est allé jusqu’à octroyer 50 dollars aux candidats qui viendraient postuler à un entretien et a augmenté les salaires d’environ 10%.
« Même s’il est difficile de comparer une telle entreprise à un bar de quartier, nous avons tout de même remarqué, via notre activité, que les établissements qui payaient plus leurs salariés avaient moins de turnover, confie Remi Boisson. Il faut savoir qu’en salle ce turnover est de 160%. Autrement dit, en une année un poste de serveur est occupé par 2,5 personnes. Retrouver quelqu’un, le former, c’est un vrai coût caché. Augmenter les salariés ne serait-ce que de 5 à 10%, pourrait sur le long terme s’avérer bénéfique. »
À bon entendeur…