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« THE COCKTAIL BOOK », DE FLORIAN THIREAU : UNE BIBLE TECHNIQUE

The Cocktail Book

Ancien chef barman du bar Les Heures au Prince de Galles et bar manager d’un futur grand palace parisien, Florian Thireau crée l’événement de la rentrée avec son premier livre, un reflet de sa vision moderne. Entretien avec cette pointure française sur la mixologie d’aujourd’hui.

Parle nous de ton parcours dans le monde du bar et des cocktails ? Qui furent tes mentors ?

J’ai fait 6 ans d’école hôtelière à Nantes, avec des stages en étoilés Michelin tels que La Côte d’Or à Saulieu et Les Crayères à Reims, avant de me diriger dans l’univers du bar. En 2010, j’ai obtenu mon premier poste de 1er barman responsable de cave au Buddha Bar, classé numéro 3 mondial en 2010 (magazine Drinks International), sous la tutelle des bar managers Bertrand Valentin et Rémy Rodriguez. Cette expérience a guidé la suite de mon parcours vers des postes dans le top 100 des bars internationaux – de Palmer & Co à Sydney au Zetter Townhouse à Londres. En 2016, je suis rentré à Paris, comme chef barman au Prince de Galles, où nous avons été lauréats du meilleur bar d’hôtel d’Europe.

Florian Thireau, auteur de "The Cocktail Book", aux éditions de La Martinière.
Florian Thireau, auteur de “The Cocktail Book”, aux éditions de La Martinière.

En effet, j’ai eu plusieurs mentors, chacun pour des raisons bien précises. Le premier, Bertrand Valentin, m’a appris à gérer la logistique d’un bar, à comprendre son organisation et ses chiffres, et à diriger une équipe. Il m’a également initié au vin et m’a amené à penser plus loin, à voir plus grand. Alexandre Raclet, vainqueur du Trophée du bar 2011, m’a transmis sa passion pour le bar et l’amour du travail bien fait à travers la précision et le détail, aux côtés de Jean Munos. Deux personnes ont marqué ma vie sur le plan managérial, deux femmes d’exceptions : Julie Davaine et Marie Gallien, general managers à Sydney.

À l’image d’une main de fer dans un gant de velours, elles font preuve d’un management rigoureux, respectueux et humain et m’ont permis de prendre du recul sur la façon d’échanger avec les gens.

Florian Thireau

Enfin, je citerais le célèbre Tony Conigliaro, qui m’a énormément influencé par sa vision artistique, son style et sa précision ; et Whitney Maxwell, l’un des plus talentueux créateurs de cocktail, qui m’a élevé sur les plans technique et pratique.

C’est au bar Les Heures de l’hôtel Prince de Galles que le monde des médias t’a découvert au poste de chef barman. Quelles expériences t’ont apporté ce célèbre 5-étoiles ? 

Ce fut une expérience très enrichissante, qui m’a permis de grandir sur la partie management et sur le plan humain. J’ai eu la chance d’être soutenu par la direction et d’être libre dans la démarche que je souhaitais mettre en place. Je soulignerai également la découverte de l’univers du luxe, de son environnement et d’une clientèle unique associée à des codes précis, différents de mes expériences passées.

Tu lances en septembre « The Cocktail Book », un manuel technique et créatif dédié aux cocktails (éditions de La Martinière). Comment l’idée a germé de passer de chef barman à auteur ?  

Plusieurs éléments m’ont amené à la rédaction de cet ouvrage. Premièrement, la notion de partage et de transmission. J’ai eu un déclic lors d’une intervention en école hôtelière auprès d’une mention barman en m’apercevant que le programme de formation, les manières de faire et de penser n’étaient pas en corrélation avec le monde professionnel actuel. Deuxièmement, l’envie de contribuer à la professionnalisation de notre métier avec un manuel faisant office de référence pour les professionnels et les passionnés. Enfin, le besoin de concrétiser mes années d’expérience et d’exprimer sur papier ma vision du bar.

La couverture de "The Cocktail Book" de Florian Thireau.
La couverture de “The Cocktail Book” de Florian Thireau.

Ce livre reflète en 384 pages ton style ciselé et ton savoir-faire très technique. On peut dire que c’est la nouvelle encyclopédie du cocktail en France. Quel lectorat cibles-tu ? Comment as-tu travaillé sur la composition de ton ouvrage ?

Naturellement, le livre cible les professionnels. Malgré son contenu dense, j’ai tâché de le rendre accessible au plus grand nombre. De plus, ma maison d’édition a fait un très beau travail graphique, facilitant ainsi la lecture et permettant à l’ouvrage d’exister en tant qu’objet à part entière. Quant à sa composition et pour couvrir un maximum de sujets, le livre est divisé en 5 thèmes.

En premier lieu, on retrouve le chapitre « GRANDS PRINCIPES ». Il évoque ma démarche et ma vision sur notre métier, son évolution et la manière dont je l’appréhende, avec un point d’honneur sur l’expérience sensorielle.

Puis la partie « LABORATOIRE », où je liste l’ensemble du matériel que j’utilise pour la création des cocktails associée à une technique respective.

Ce chapitre est essentiel car il reflète l’une des grandes mutations de notre métier à travers un lieu dédié à la recherche, à la création et à la production, et offrant au barman les bonnes conditions de travail.

Florian Thireau

La troisième partie, « BAR », reprend « les fondamentaux et ingrédients de base » utilisés dans la confection des cocktails tels que la glace, les sucres et les agrumes, le matériel de bar et la verrerie. Je présente également une section « Expérience », offrant une vision précise des différentes techniques grâce à des graphiques.

En quatrième partie, on retrouve un manuel de fabrication, visant à être utilisé comme une base de travail modifiable au gré de tous. Mon objectif dans ce chapitre était avant tout d’être transparent sur les techniques appliquées, les ingrédients, ainsi que les quantités utilisées afin que les recettes présentées en cinquième partie puissent être reproduites à l’identique et que chacun puisse construire sur les exemples donnés.

La dernière section est dédiée aux cocktails. Elle est divisée en deux grands chapitres. Le premier vous invite dans l’univers des classiques au moyen d’une sélection de cocktails représentatifs de la scène mondiale. Le second offre un aperçu de mon travail via des créations inspirées des cocktails classiques et des créations conceptuelles inspirées, elles, d’une idée, d’une émotion ou autre.

Au début de ton livre, tu cites l’arrivée de nouveaux codes dans le monde du bar d’aujourd’hui. Quels sont-ils pour toi ?

Les « nouveaux codes » du bar s’inscrivent en trois temps forts et évoquent l’évolution de notre métier à travers sa professionnalisation.

Le premier repose sur le lieu de travail. Les établissements précurseurs disposent désormais d’un laboratoire dédié à la phase « d’avant-service », permettant aux équipes de travailler dans un cadre réglementé et équipé.

Aujourd’hui, l’élaboration de produits sur mesure signe les cocktails comme les plats de grands chefs, mêlant rigueur et interprétation.

Florian Thireau

Le second est lié à la réorganisation du travail, s’ajustant autour du duo « lab-bar ». Les plannings des équipes évoluent et offrent d’autres positions dédiées au travail de laboratoire, combiné ou non aux fonctions du barman « classique ».

Et enfin, le troisième nouveau code fait référence à la fabrication. Depuis quelques années, le mouvement craft visant à fabriquer des produits « maison » est présent au sein de notre industrie. L’arrivée d’un lieu de travail associé aux équipements et d’une organisation dédiée en est la conséquence directe et permet de mieux fabriquer.

Tu es donc l’un des rares barmen à posséder un laboratoire avec toute une panoplie d’outils que tu détailles dans cet ouvrage. Être un véritable alchimiste du cocktail, c’est l’avenir du bar ? 

Je ne suis pas convaincu qu’alchimiste soit le bon terme. La possession d’un laboratoire n’est pas synonyme de créativité, ni même de savoir-faire. Je compare souvent notre travail à celui des pâtissiers : un dessert se réalise dans un laboratoire à température avec le bon matériel, les bons ustensiles, hors des heures de service, avec la complicité et le travail de plusieurs. Il nécessite un, deux, trois, peut-être 20 essais pour être désigné comme « abouti ».

J’estime que le bar mérite ce cadre aussi précis afin d’atteindre le même niveau d’excellence et, ainsi, révéler les passionnés, les précurseurs et les tendances. Ce qui est certain, c’est que notre métier évolue et que les compétences requises pour travailler dans les établissements les plus pointus sont trop peu transmises.

Pour moi, le cocktail s’apparente à la cuisine liquide avec ses propres règles, ses propres outils et techniques. Si les établissements avaient un laboratoire dédié au bar comme les cuisiniers ont une cuisine, alors ils pourraient utiliser des techniques fondamentales telles que la cuisson sous vide pour mitonner des infusions précises et qualitatives, la gazéification, la clarification et autres techniques pour fournir un travail cohérent.

Si l’on souhaite ouvrir son bar de nos jours, quels sont les outils indispensables? 

Tout dépend du bar que l’on souhaite ouvrir, de la vision que l’on veut mettre en place, et des moyens à disposition.

Si je devais choisir le minimum d’outils pour la modification ou la fabrication de produits maison, hors petit matériel je prendrais une balance de précision, un thermoplongeur, et une machine sous vide.

Florian Thireau

Ces ustensiles couvrent une grande partie des produits développés pour des cocktails classiques et des créations, permettant de travailler de manière régulière et précise.

Quelle est la plus grande révolution technique dans le monde du bar et quelles sont les techniques aujourd’hui les plus utilisées? 

Même si elle est présente depuis plusieurs années en gastronomie, l’utilisation de la machine sous vide pour la conservation des produits, couplée au thermoplongeur pour la réalisation d’infusions, est à mon sens la plus grande révolution contemporaine.

Le thermoplongeur, outil révolutionnaire dans la conception de nouveaux cocktails.
Le thermoplongeur, outil révolutionnaire dans la conception de nouveaux cocktails.

D’autres techniques sont aujourd’hui utilisées, dont la clarification et la distillation sous vide. La plus exploitée, hors infusion et macération, est la gazéification, grâce à son coût relativement faible et à son vaste champ d’action.

Dans ton livre, tu détailles les ingrédients selon leur composition chimique. Tu travailles tes cocktails davantage autour d’une méthode scientifique que spontanément autour du goût ? 

Cela varie au cas par cas. Parfois, je cherche une association aromatique forte et innovante entre plusieurs ingrédients en étudiant la composition chimique d’un pour trouver son ou ses compères possibles.

C’est le cas du cocktail intitulé « Mina », où l’association de l’Aloe Vera et de la Baie de Timur s’est révélée suite à mes recherches sur le profil aromatique de la Rose de Damas.

Florian Thireau

Parfois, je travaille les cocktails de manière plus spontanée. La réalisation du kir royal intitulé « Divine » m’a paru logique lorsque j’ai reçu un flacon d’huile essentielle d’ylang-ylang. Associé à l’orange et à la gentiane, j’ai rapidement eu la trame en tête avec le désir de refléter les notions d’élégance et de féminité que procure cette fleur.

Quels sont les nouveaux ingrédients utilisés dans le monde du bar ?

La tendance des ingrédients est difficile à suivre puisqu’elle diffère d’un pays à un autre, d’un bar à un autre. Je pourrais indiquer l’utilisation des huiles essentielles, des teintures ou des acides organiques mais je pense que leurs utilisations sont peu révélatrices. À l’heure actuelle, il est plus facile d’attester une tendance « cocktail » et une tendance « technique ».

Lorsque l’on observe la scène du cocktail monde, alors l’Italie est à l’honneur grâce au Negroni, au Spritz, et dernièrement au Garibaldi (amer italien et jus d’orange).

Florian Thireau

On note également la montée des cocktails « embouteillés » prêts à boire ; et les débuts du « Hard Seltzer », une eau gazéifiée et souvent aromatisée à faible degré alcoolique. D’un point de vue technique, on observe 2 tendances majeures : la « fermentation », introduite dans la réalisation de sirops, de shrubs ou encore de cordiaux ; et la « gazéification », appliquée sur les cocktails avec et sans alcool.  

La décoration n’est pas la partie la plus détaillée dans ton livre. On se dirige vers une tendance visuelle autour de la pureté ?

J’ai rassemblé les éléments décoratifs indispensables entre le zeste, la cerise amarena, l’oignon grelot, etc. Je suis féru de pureté visuelle et j’aime l’effet de surprise qui peut naître entre une présentation « classique » et le travail abouti du goût d’un cocktail. La décoration reste un sujet controversé. Lorsque je place une « garnish », je veux qu’elle ait à la fois un sens et une valeur ajoutée. Ajouter pour ajouter ne me correspond pas.

Cela coûte de l’argent, demande du temps en mise en place et peut drastiquement pénaliser la rapidité du service. Les décorations que je souhaiterais développer sont plus conceptuelles et touchent au domaine de la cuisine moléculaire, ce qui représente un travail de longue haleine. Je pense que dans les années à venir, le laboratoire et les techniques poursuivront leurs évolutions et qu’apparaîtront des décorations cocktails qualitatives et innovantes.

Tu abordes un sujet très intéressant sur la technique de refroidissement entre stir and shake de manière scientifique selon le type de matériel, avec des graphiques très détaillés. Peux-tu nous expliquer le principe ?

Pour moi, c’est une partie très importante car la technique shir et stake est trop peu considérée par rapport à son impact sur la boisson. Il faut rappeler que l’eau, apportée par les glaçons, permet de lier les différents ingrédients entre eux et est en partie responsable de l’équilibre final du cocktail (température, dilution et intensité aromatique).

L’objectif est ici de démontrer quels sont les matériaux les plus propices liés à ces techniques sur l’évolution de la température du cocktail.

Florian Thireau

Je confronte les deux les plus utilisés à la réalisation des cocktails – l’Inox contre le verre – sur les 2 techniques de refroidissement. Grâce à ce type d’étude, je suis capable de me positionner sur le bon outil à utiliser, le nombre de pièces de glace nécessaire, et le temps requis pour l’obtention de la température et de la dilution optimale du cocktail si je shake ou je stir.

Tu as réalisé une frise chronologique sur le monde du cocktail. Quelle date t’a marqué dans son histoire ? 

Sans hésitation, les années « post-Prohibition » à partir de 1933, parce qu’elles attestent d’une évolution marquante dans les habitudes de consommation. L’alcool n’est plus vu ni consommé de la même manière et fait désormais partie intégrante de la société « polie ». Boire à la maison est devenu plus fréquent et la consommation chez les femmes, plus courante. Les bars cachés durant la Prohibition ont donné naissance à des établissements plus ludiques, à des lieux de divertissement avec l’arrivée du jazz, du swing et de la gent féminine. Ce sont des années inspirantes car je trouve qu’il y a trop peu d’établissements où l’on peut apprécier un très bon cocktail dans un cadre récréatif, propice à l’amusement.

À la fin de ton manuel, tu présentes toute une série de cocktails classiques modernisés. Quelle est ta mécanique pour retravailler un classique ? 

La mécanique est comparable au recul que prend un sommelier lorsqu’il déguste un vin : la recherche des points d’amélioration. Ils peuvent être nombreux, de l’équilibre global du cocktail (sucrosité, acidité, amertume, effervescence…) à son profil aromatique (goût trop ou pas assez prononcé). C’est avant tout une question d’appréciation, constamment remise en question jusqu’à une totale satisfaction.

Quels sont tes projets pour la rentrée 2020 ?

La rentrée 2020 va être challenging, entre la reprise d’activité et le lancement du livre. Je vais avant tout me concentrer sur le travail qui m’a été confié et sur la communication de l’ouvrage en approchant les établissements scolaires et professionnels, avec le soutien des éditions de La Martinière. Un des points clefs sera l’accueil de The Cocktail Book au sein du marché français, en espérant qu’il soit perçu tel que je l’ai imaginé : « Une base de travail pour tous ».

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Écrit par Laurence Marot

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