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2023, FIN DE L’ÂGE D’OR DE LA BIÈRE EN FRANCE ?

Effet Covid, forte augmentation des coûts des matières premières et énergétiques, concurrence exponentielle : après des années florissantes, la boisson maltée doit faire face à plusieurs motifs de crise. Enquête auprès de ses acteurs pour connaître la température.

4,43 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022, premier pays européen en nombre de brasseries avec 2 520 lieux en activité dont 312 nouveaux : tels sont les éléments annoncés et prometteurs par l’édition 2023 de la Bière en France, un état des lieux complet sur le monde brassicole dans l’Hexagone, signé par le biérologue Emmanuel Gillard.

L’auteur explique : « Après 2 ans de crise, la dynamique des brasseurs reste très positive avec en 2021 7,5 ouvertures pour une fermeture. Face à la Covid, les brasseries étaient toutes dans une situation identique. Aujourd’hui, le paysage a changé : certaines souffrent tandis que d’autres tirent leur épingle du jeu. »

Pour prendre le pouls de nos producteurs, Emmanuel Gillard a fait le tour de France. Après s’être presque sortie de la crise sanitaire, ce sont d’autres coups de massue qui frappent la filière : la hausse des prix des matières premières, du conditionnement et de l’énergie, prémices inquiétants pour leur survie économique.

D’après une enquête réalisée par le Syndicat des brasseurs de France, deux tiers des brasseries estiment que leurs résultats diminueront en 2022, et parmi elles la moitié envisagent un résultat négatif. Les différents acteurs sont en quête de solutions pour renouer avec les années dorées et éviter une flambée conséquente des prix de leurs bonnes mousses.

« La bière est populaire et doit rester accessible », affirme Emmanuel Gillard.

Emmanuel Gillard

Nouveaux modèles économiques, arrivée de poids lourds, recettes plus simples, diversification, méthodes de process tendant vers le durable… une révolution serait-elle en marche ?

« On vit un vrai changement d’époque mais ce n’est pas la fin de l’âge d’or », rassure Julien Du Tremblay, fondateur de la société de distribution GuruBeer et des jeunes brasseries VNDL et Prizm, basées à Montpellier et en pleine ascension.

Réinventer un business model pour les nouvelles brasseries

L’expansion de la bière craft en France a séduit bon nombre de passionnés. Ces derniers sont prêts à lâcher leur job pour se lancer dans l’aventure du malt et du houblon sans bagage entrepreneurial ni réflexion sur un modèle économique viable à long terme.

« On a vu un certain nombre de brasseries montées par des personnes en pleine crise de la quarantaine avec la volonté de changer de vie », explique Guirec Aubert. Ce biérologue a rencontré sur sa route plusieurs brasseries ayant récemment fermé leurs portes.

Guirec Aubert

« Le côté cool et convivial de la bière est très attractif mais on passe du temps à faire des livraisons, de l’administratif… et tout le monde n’est pas fait pour cela ! Et avec la forte concurrence, une bière correcte n’est plus synonyme de réussite. » Ces expériences peu concluantes ont engendré une nouvelle génération de producteurs avec un business plan et un concept bien plus carré.

Née en mars 2022 à Cognac, la brasserie Jukebox est une parfaite illustration. Montée par 3 amis brasseurs amateurs depuis 7 ans, dotés de qualifications bien distinctes (spiritueux, immobilier et travaux publics), la jeune société a investi dans des outils de production pour réaliser un volume de 550 hectolitres par an avec capacité jusqu’à 1 200 hectolitres.

« Nous avons monté notre outil de production avec une vision de 3 ans d’activité sans avoir besoin de réinvestir », détaille Loïs Tribot, un des cofondateurs, satisfait de ses premiers mois d’activité.
Autre cas de figure : des acteurs soutenus par des investisseurs qui démarrent sur le marché avec un volume de 10 000 à 50 000 litres de bière.

« Ces brasseries sont de véritables start-up avec un projet mature et une parfaite connaissance des réseaux de distribution », remarque Emmanuel Gillard.

Des bières moins sophistiquées et plus axées sur le terroir

Finies les recettes excentriques avec des ingrédients chassés au bout du monde faisant grimper le prix !

« C’est le retour de la bière de table, avec des recettes plus simples. On découvre une tendance vers un ancrage local, incluant la bière de terroir. Pour éviter le maximum d’intermédiaires et de logistique, on travaille sur des matières premières locales. La filière brassicole s’est bien organisée en amont comme en aval », explique Emmanuel Gillard.

Désormais, les consommateurs cherchent des bières de qualité à des prix accessibles.

VNDL

« Dans l’univers de la bière craft, la course à la nouveauté s’essouffle. À présent, on va sur des gammes permanentes et des produits moins chers. Notre brasserie VNDL est spécialisée dans des bières classiques, faciles à boire et non techniques. Elles fonctionnent très bien auprès du public », constate Julien Du Tremblay.

Une activité diversifiée

Pour satisfaire une nouvelle clientèle et proposer une alternative à la bière sur la tendance du boire mieux, certaines maisons ont élargi leur production vers d’autres boissons fermentées.

Ainsi, la jeune brasserie Prizm, de Montpellier, s’est penchée sur le « cider » (boisson plébiscitée sur le marché britannique) avec la gamme Polygon, une sorte de cidre marié à des fruits exotiques « Polygon est un nouveau challenge sur la partie développement et recherche. Nous croyons en ce produit », explique Julien Du Tremblay le fondateur-distributeur.

Même défi dans le Nord avec la Brasserie du Pays Flamand, grand acteur des Hauts-de-France, qui vient de lancer son kombucha Noko avec 3 recettes dont une au houblon.

Polygon

Un process de fonctionnement de plus en plus responsable

Comment faire face à la hausse des matières premières, de l’énergie et du conditionnement comme le verre qui devrait augmenter de 25 à 30% en 2023 sans pénaliser le consommateur ? Beaucoup de brasseries ont réfléchi à cette problématique avec le remplacement progressif de la bouteille par la canette, plus écologique et économique. C’est le cas de la Brasserie du Pays Flamand.

« Aujourd’hui, il nous faut agir chacun à notre échelle pour préserver à la fois notre environnement et le pouvoir d’achat du consommateur, avec une hausse des prix qui devra rester mesurée », précise le cofondateur Mathieu Lesenne.

Mathieu Lesenne

L’objectif : mettre en canette 1 000 hectolitres en 2023, soit 3% de sa production, en démarrant par les bières phare comme l’Anosteké Blonde.

De nouvelles formules de points de vente

Depuis quelques années, certaines brasseries n’ont plus pour seule vocation d’être un site de production. Elles sont transformées en lieux de convivialité pour déguster leurs belles mousses et un moyen de vendre directement à des prix plus compétitifs. Leurs noms : les brewpubs.

« Ce type d’établissement mixant brasserie et taproom permet de vendre la bière en pression et d’avoir une proximité du client avec ses consommateurs », constate Emmanuel Gillard, qui a répertorié 157 brewpubs en France.

Les points de vente physique et en ligne dédiés à la bière n’ont pas été épargnés par la conjoncture ni la hausse tarifaire, qui font fuir la clientèle. Bieronomy, caviste, site de e-commerce et bar, a vécu une période prospère pendant la crise sanitaire.

« Avant la Covid, nous étions l’un des seuls sites de vente de bières artisanales. À la fin de la crise, on se partageait le marché avec d’autres acteurs. Aujourd’hui, certains ont fermé », souligne Michel Masurel, le cofondateur.

Pour dynamiser son business, il compte à présent sur l’activité du bar avec des événements musicaux et des soirées Tap Take Over (TTO).

« Nous avons stoppé la vente de certaines bières étrangères dont les américaines, beaucoup trop chères, et nous avons élargi notre offre vers des brasseries locales et françaises qui travaillent très bien », explique Michel Masurel.

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Écrit par Laurence Marot

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